Des groupes armés libyens, des États tiers, des combattants étrangers et des mercenaires pourraient avoir commis des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité depuis 2016 en Libye, a affirmé lundi une mission d’enquête indépendante sur ce pays dans un rapport publié à Genève.
« Il existe des motifs raisonnables de croire que des crimes de guerre ont été commis en Libye, tandis que les violences perpétrées dans les prisons et à l’encontre des migrants qui s’y trouvent pourraient s’apparenter à des crimes contre l’humanité », ont dit dans un communiqué les enquêteurs indépendants onusiens.
« Les enquêtes de la Mission ont ainsi établi que toutes les parties aux conflits, y compris des États tiers, des combattants étrangers et des mercenaires, ont violé le droit international humanitaire, en particulier les principes de proportionnalité et de distinction. Et certaines ont également commis des crimes de guerre », a déclaré Mohamed Auajjar, Président de la Mission d’établissement des faits.
Les raids aériens ont tué des dizaines de familles
La Libye est minée par des violences et des luttes de pouvoir depuis la chute du régime de Mouammar Kadhafi en 2011. Les civils ont payé un lourd tribut lors des hostilités de 2019-2020 à Tripoli, ainsi que lors d’autres confrontations armées dans le pays depuis 2016.
« Les frappes aériennes ont tué des dizaines de familles. La destruction des installations liées à la santé a eu un impact sur l’accès aux soins de santé et les mines antipersonnel laissées par les mercenaires dans les zones résidentielles ont tué et mutilé des civils », a ajouté M. Auajjar.
La Mission d’établissement des faits a ainsi examiné les violations dans le cadre de la privation de liberté. Elle s’est notamment penchée sur la situation des déplacés internes ainsi que celle des migrants, des réfugiés et des demandeurs d’asile.
Des abus à grande échelle commis à l’encontre des migrants
« Les migrants, les demandeurs d’asile et les réfugiés sont soumis à une litanie d’abus en mer, dans les centres de détention et aux mains des trafiquants », a déclaré l’un des membres de la Mission, Chaloka Beyani. « Nos enquêtes indiquent que les violations à l’encontre des migrants sont commises à grande échelle par des acteurs étatiques et non étatiques, avec un haut niveau d’organisation et avec l’encouragement de l’État - tout cela est évocateur de crimes contre l’humanité ».
La Mission d’établissement des faits, composée d’Aujjar et de ses deux autres collègues experts en droits humains Chaloka Beyani et Tracy Robinson, a rassemblé et examiné des centaines de documents. Elle a interrogé plus de 150 personnes et mené des enquêtes en Libye, en Tunisie et en Italie.
Les violences dans les prisons libyennes peuvent relever de crimes contre l’humanité
Leur travail a notamment porté sur la conduite des parties aux conflits armés qui ont eu lieu à travers la Libye depuis 2016. La Mission d’établissement des faits a également trouvé des preuves de violences inquiétantes commises dans les prisons libyennes, les détenus étant torturés quotidiennement et leurs familles étant empêchées de leur rendre visite.
« La détention arbitraire dans des prisons secrètes et les conditions de détention insupportables sont largement utilisées par l’État et les milices contre toute personne perçue comme une menace pour leurs intérêts ou leurs opinions », a déclaré Tracy Robinson. « Les violences dans les prisons libyennes sont commises à une telle échelle et avec un tel niveau d’organisation qu’elles peuvent aussi potentiellement relever de crimes contre l’humanité ».
Plus globalement, l’insécurité chronique en Libye a entraîné le déplacement interne de centaines de milliers de personnes qui se sont retrouvées dans des zones mal équipées pour accueillir de grands mouvements de population. Certains groupes ethniques, tels que les Tawerghas, les Tebus et les Alahali, ont été déplacés depuis 2011 et continuent de subir de graves abus.
Des individus et des groupes (libyens et acteurs étrangers) identifiés par la Mission
Les éléments de preuve indiquent que la Libye n’a pas pris de mesures pour assurer la sécurité des déplacés internes et leur retour dans leur lieu d’origine, en violation de ses obligations au titre du droit international.
Le rapport de la Mission d’établissement des faits documente également le recrutement et la participation directe d’enfants aux hostilités, la disparition forcée et les exécutions extrajudiciaires de femmes éminentes et la poursuite des violences sexuelles et autres contre les populations vulnérables, notamment les personnes LGBT. La Mission a en outre accordé une attention particulière aux allégations de crimes d’atrocité commis dans la ville de Tarhuna (au sud-est de Tripoli) entre 2016 et 2020.
A la suite de ce sombre tableau décrit dans le rapport, la Mission d’établissement des faits a identifié des individus et des groupes (libyens et acteurs étrangers) qui pourraient porter la responsabilité des violations, abus et crimes commis en Libye depuis 2016. « Cette liste confidentielle le restera, jusqu’à ce que le besoin se fasse sentir de la publier ou de la partager avec d’autres mécanismes de reddition des comptes », ont précisé les enquêteurs indépendants onusiens.
Le rapport préconise la prolongation d’un an du mandat de la Mission
En attendant, « il est plus que jamais nécessaire de garantir l’obligation de rendre des comptes pour les violations flagrantes des droits humains et les crimes internationaux commis dans le pays afin de dissuader de nouvelles violations et de promouvoir la paix et la réconciliation à long terme », a insisté M. Auajjar.
La Mission exhorte donc Tripoli à intensifier ses efforts pour que les responsables répondent de leurs actes. « Il est également essentiel que la communauté internationale continue à apporter son soutien aux autorités judiciaires libyennes », a-t-elle fait remarquer.
Notant qu’une enquête exhaustive sur les droits de l’homme est un outil efficace pour favoriser la reddition des comptes et promouvoir la paix et la sécurité à long terme, le rapport recommande au Conseil des droits de l’homme de l’ONU de prolonger d’un an le mandat de la Mission d’établissement des faits.
Ce rapport de la Mission internationale indépendante d’établissement des faits sur la Libye sera présenté jeudi 7 octobre prochain au Conseil des droits de l’homme des Nations Unies.