La preuve, le droit et la constance : les vraies armes de Tshisekedi


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Longtemps, la République démocratique du Congo a été présente dans les enceintes internationales sans jamais y peser réellement. On y parlait du Congo, rarement avec lui. Cette asymétrie est en train de se refermer. Sous l’impulsion de Félix Tshisekedi, Kinshasa a engagé une stratégie plus discrète que spectaculaire, mais autrement plus structurante : bâtir une légitimité offensive, fondée non sur l’émotion ou la dénonciation, mais sur le droit, la preuve et la constance. Une stratégie de filets, patiemment déployés, qui vise moins à gagner un moment diplomatique qu’à s’inscrire durablement dans le concert des nations.

Le premier mouvement est conceptuel. La RDC a cessé de se présenter comme une victime permanente pour se poser tel qu’il est : un État agressé, capable d’en démontrer juridiquement la réalité. Ce glissement est décisif. Là où la plainte appelle la compassion, l’argumentaire appelle la responsabilité.

Dans les forums multilatéraux, Kinshasa ne se contente plus de dénoncer. Elle documente. Chaînes de commandement, soutiens logistiques, violations territoriales, mouvements transfrontaliers : chaque élément est versé dans un récit cohérent, vérifiable, juridiquement exploitable. La crise de l’Est sort ainsi du registre du soupçon pour entrer dans celui de la qualification.

Ce travail patient change la nature des débats. Les partenaires internationaux ne sont plus sommés de choisir un camp, mais de se prononcer sur des faits établis. Et, dans le système international contemporain, le fait documenté est une arme plus puissante que l’indignation.

Le droit international comme terrain de reconquête

La stratégie congolaise repose sur un pari assumé : le droit international n’est pas un luxe pour temps de paix, mais un levier en situation de conflit. Là où certains acteurs régionaux privilégient l’ambiguïté et le fait accompli, Kinshasa investit les procédures, les résolutions, les mécanismes de vérification.
Ce choix n’est ni naïf ni passif. Il vise à déplacer le rapport de force. En inscrivant systématiquement les violations dans des cadres multilatéraux, la RDC contraint ses adversaires à sortir de la zone grise. Chaque entorse devient traçable. Chaque déni devient contestable. Chaque escalade accroît le coût politique de l’illégalité.
Cette judiciarisation progressive du conflit n’aboutit pas à une paix immédiate. Mais elle construit une asymétrie nouvelle : d’un côté, un État qui s’aligne sur les règles du jeu international ; de l’autre, des acteurs contraints de les contourner. À terme, cette dissymétrie produit de la légitimité, donc de la puissance.

Multilatéraliser sans se diluer

Contrairement à une idée répandue, la stratégie congolaise ne consiste pas à déléguer sa souveraineté aux organisations internationales. Elle vise au contraire à les utiliser comme amplificateurs. Conseil de sécurité, Union africaine, organisations régionales : chaque enceinte est mobilisée avec un objectif précis, sans dispersion.
La RDC n’y cherche pas l’unanimité, mais la centralité. Être au cœur des discussions, fixer les termes, imposer les mots. En redevenant un passage obligé des processus diplomatiques régionaux, Kinshasa s’assure que rien ne peut durablement se décider contre elle ou sans elle.
Cette présence constante, parfois jugée procédurale, est en réalité stratégique. Elle installe la RDC dans une posture de normalité diplomatique : un État qui agit selon les règles communes, qui accepte la contradiction, mais qui refuse l’effacement.

Le temps long comme horizon stratégique

La légitimité internationale ne se conquiert pas dans l’urgence. C’est peut-être la leçon la plus contre-intuitive de la séquence actuelle. Là où l’instabilité de l’Est pousse à l’impatience, Félix Tshisekedi fait le choix du temps long.
Ce choix a un coût politique interne. Il pourrait exposer le pouvoir aux critiques de lenteur, de retenue excessive, voire de faiblesse. Mais, à l’inverse, la cote du président n’a jamais été aussi bonne dans le pays, comme si les Congolais avaient tout compris à la stratégie présidentielle... Une stratégie que produit, à l’extérieur, un effet très positif : celui d’un État prévisible, constant, lisible. Dans un environnement international saturé de crises, cette lisibilité devient un atout rare.
La constance congolaise contraste avec les stratégies plus erratiques de certains voisins, dont certains s’enferment dans le mensonge et la violence directe ou par procuration.
Elle installe une forme de crédibilité cumulative : chaque prise de parole s’inscrit dans une ligne antérieure, chaque action renforce la précédente. La RDC ne gagne pas des batailles médiatiques. Elle construit une réputation.

Entrer durablement dans le concert des nations

Ce qui se joue aujourd’hui dépasse la seule crise du Kivu. En investissant le droit, la preuve et la constance, la RDC redéfinit sa place internationale. Elle ne cherche plus à être protégée, mais reconnue. Elle ne demande plus une gestion extérieure de ses crises, mais la reconnaissance de sa souveraineté pleine et entière.
Cette stratégie n’est pas achevée. Elle reste exposée aux aléas du terrain, aux lenteurs institutionnelles, aux rapports de force régionaux. Mais elle a déjà produit un effet structurant : la RDC n’est plus un angle mort de la diplomatie internationale. Elle en devient un acteur identifié, audible, et de plus en plus incontournable.
Dans le concert des nations, la légitimité ne se proclame pas. Elle se construit. Kinshasa a choisi d’en faire une arme.