Covid-19 : quand les scientifiques africains changent la donne


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Le 27 février 2020, l’Afrique enregistrait son premier cas de coronavirus (Covid-19). Il s’agissait d’un homme italien vivant à Lagos au Nigéria qui rentrait d’un voyage à Milan, en Italie, alors un foyer important de la maladie en Europe. Peu après l’identification du patient, un échantillon du virus a été envoyé vers une petite ville, Ede, dans l’État d’Osun au sud-ouest du pays, à plus de 200 kilomètres de Lagos.

C’est là-bas qu’une équipe dirigée par le professeur Christian Happi a analysé l’échantillon et partagé en moins de 48 heures le tout premier séquençage du génome du syndrome respiratoire aigu sévère coronavirus 2 (SRAS-CoV-2) d’Afrique avec la communauté scientifique mondiale, plus rapidement que ce qui se faisait dans certains pays développés, et, surtout, beaucoup plus rapidement que si l’échantillon avait été envoyé à un laboratoire à l’étranger.

Pourquoi cette initiative est-elle révolutionnaire ? Parce qu’il y a moins de dix ans, la plupart, voire la totalité du séquençage des virus présents dans le pays était effectué dans des laboratoires à l’étranger. Entre l’envoi de l’échantillon à l’étranger et le moment de la publication des résultats, le virus aurait eu le temps de se propager, muter et tuer des patients.

Originaire du Cameroun, Christian Happi a passé 12 ans à l’université d’Harvard en tant que chercheur scientifique avant d’intégrer l’université de Redeemer au Nigéria, une institution privée dans l’État d’Osun. Une énigme géographique est à l’origine de sa décision de déménager au Nigéria : le fait que le dépistage de la fièvre de Lassa, qui provoque une hémorragie virale aiguë et tue chaque année des centaines de Nigérians, était effectué en Allemagne. Considérant qu’il n’y avait aucune raison que les maladies affectant les Africains ne puissent être testées dans la région, Happi a décidé de relever le défi de développer directement dans le pays l’étude de la génomique du virus.

Le début d’une aventure

Aujourd’hui, l’université de Redeemer abrite le Centre d’excellence africain pour la génomique des maladies infectieuses (ACEGID) dirigé par Christian Happi. En 2014, ce centre a été sélectionné par le Programme des Centres d’excellence africains pour l’impact sur le développement (ACE) financé par la Banque mondiale. Depuis lors, le centre a mis au point un test rapide qui permet de diagnostiquer en 10 minutes la fièvre de Lassa, ouvrant ainsi la voie au développement du prochain vaccin contre cette maladie.

Ce même centre avait identifié et séquencé le premier cas d’Ebola au Nigéria lors de l’épidémie qui a sévi en Afrique de l’Ouest de 2014 à 2016. En outre, le centre a aidé à contenir l’épidémie dans la sous-région grâce à la mise au point d’un diagnostic rapide de 15 minutes. Cette méthode a été approuvée par l’Organisation mondiale de la santé et la Food and Drug Administration aux États-Unis (USFDA).

Des solutions locales aux problèmes régionaux et mondiaux

La pandémie COVID-19 a rappelé le besoin de développer en Afrique des solutions adaptées au contexte africain. Par exemple, l’équipe du professeur Happi a également mis au point un test accéléré pour le dépistage de la COVID-19, certifié par l’USFDA. Le teste coûte environ 3 dollars américains, soit beaucoup moins cher que les autres tests disponibles et facile à réaliser par des laboratoires qui ne disposent d’équipements trop sophistiqués et onéreux.

L’ACEGID a également établi un partenariat avec les Centres africains de contrôle et de prévention des maladies (CDC), le CDC du Nigeria et d’autres groupes internationaux. En septembre 2020, l’OMS a désigné l’ACEGID comme l’un des deux laboratoires de recherche de référence sur le continent spécialisés dans le séquençage des pathogènes émergents dont le SARS-CoV-2.

Les scientifiques africains montrent la voie

Aujourd’hui, le domaine de la génomique se développe rapidement en Afrique, avec l’ACEGID en tête. Le centre devrait prochainement inaugurer un bâtiment de 4 millions de dollars et devenir le plus grand centre de recherche génomique en Afrique. Plus récemment, il a été sélectionné par le Broad Institute du Massachusetts Institute of Technology (MIT) et l’université de Harvard aux États-Unis pour faire partie d’une prestigieuse coalition scientifique qui aidera à mettre en place un système d’alerte précoce afin de prévenir et répondre aux futures épidémies et pandémies - une opportunité qui tombe à pic dans le cadre des initiatives de lutte contre la COVID-19. Christian Happi a également reçu le très prestigieux prix Baily Ashford Medical en novembre 2020, en récompense de ses importantes contributions scientifiques.

Au Nigéria, un autre centre d’excellence africain traite un domaine tout aussi passionnant : il s’agit du centre pour les maladies tropicales négligées et la biotechnologie médico-légale (ACENTDFB). Dirigé par le professeur Y.K Ibrahim, il effectue des tests de masse et a créé un laboratoire d’analyse d’échantillons de la COVID-19, en collaboration avec l’État de Kaduna et l’hôpital universitaire.

Par ailleurs, au Ghana, le Centre ouest-africain de biologie cellulaire des agents pathogènes infectieux (WACCBIP) dirigé par le professeur Gordon Awandare en collaboration avec le Noguchi Memorial Institute for Medical Research, peut également s’enorgueillir de ses recherches de pointe dans la formation de la prochaine génération de scientifiques biomédicaux. Joyce Ngoi, une Kenyane basée à Accra, mène l’équipe du centre qui a séquencé le génome du coronavirus et permis d’identifier la composition génétique de 46 cas dans le pays, permettant ainsi de poursuivre l’analyse génomique du virus au Ghana.

Tous ces exemples montrent que les scientifiques africains ont beaucoup à offrir au continent mais aussi à la communauté internationale. Leurs recherches sont primordiales et ne peuvent plus être négligées. Mettons-les à profit. Renforcer les capacités des chercheurs et des institutions africaines pour former la prochaine génération de chercheurs et lutter contre les épidémies n’est plus une option, c’est une nécessité. Il est également essentiel de consolider les partenariats et la collaboration en matière de recherche entre les universitaires et les chercheurs du continent et du monde entier afin de faciliter la mise au point de diagnostics et de mesures de ripostes rapides en cas d’épidémies.

Par HIMDAT BAYUSUFEKUA NUAMA BENTILRIM WAZNIEUNICE YAA BRIMFAH ACKWERHAISHA GARBA