Diagnostic précoce du cancer chez l’enfant : l’exemple du Sénégal


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Chaque année, un cancer est diagnostiqué chez environ 400.000 enfants et adolescents de 0 à 19 ans. Les formes les plus fréquentes sont la leucémie, les cancers du cerveau, les lymphomes et les tumeurs solides telles que le neuroblastome et la tumeur de Wilms.

Dans les pays à revenu élevé, où des services complets sont généralement accessibles, plus de 80% des enfants atteints d’un cancer guérissent, par contre dans les pays à revenu faible ou intermédiaire, moins de 30% des enfants guérissent, signale l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) à l’occasion de la Journée mondiale du cancer de l’enfant. Seuls 29% des pays à revenu faible indiquent que des médicaments anticancéreux sont largement disponibles pour la population, contre 96% des pays à revenu élevé.

Aussi, dans les pays à revenu faible ou intermédiaire, les décès évitables dus aux cancers de l’enfant résultent d’une absence de diagnostic, d’un diagnostic erroné ou tardif, de difficultés d’accès aux soins, de l’abandon du traitement, de la toxicité des traitements, et de taux de rechute plus élevés. L’OMS appuie les acteurs de santé et structures nationales afin de prévenir ces décès évitables. C’est le cas au Sénégal, comme le montre l’histoire d’Asma.

Lorsqu’elle est perdue dans ses pensées, Asma se remémore les longs trajets entre le domicile de ses parents à Mbour, une ville côtière à l’ouest du Sénégal et l’Hôpital Aristide Le Dantec à Dakar, où elle a été soignée d’une leucémie. Elle a fini par connaître le chemin par cœur. Diagnostiquée à 16 ans, elle a suivi un traitement intensif pendant trois longues années. S’en est suivie une période de surveillance de cinq ans pour détecter les potentielles rechutes qui mettraient sa vie en danger.

« Les deux premiers mois après mon diagnostic, j’étais hospitalisée sans pouvoir sortir. Par la suite, ma mère m’accompagnait trois à quatre fois par semaine et nous devions chaque fois nous lever à 3 heures de matin pour nous préparer et arriver tôt à l’hôpital », raconte-t-elle.

La majorité des décès causés par les cancers de l’enfant sont évitables

Au Sénégal, l’on estime que 800 à 1.200 enfants et adolescents sont atteints de cancer chaque année. La majorité des décès causés par les cancers de l’enfant sont évitables. Ces décès résultent d’une absence de diagnostic précis, d’un diagnostic erroné ou tardif et des difficultés d’accès aux soins. Le diagnostic précoce et la prise en charge adéquate permettent d’augmenter les taux de survie à plus de 80% pour les cancers les plus fréquents.

Dans le pays, les efforts du gouvernement appuyé par ses partenaires visent à inverser la tendance et à sauver plus de vies. Plusieurs avancées sont ainsi notées : le coût de l’hospitalisation pour les enfants traités pour un cancer sont subventionnés à 50% à l’Hôpital Aristide Le Dantec. De plus, le service social accompagne les familles pour réduire les coûts de certains examens complémentaires et les actes chirurgicaux, sans compter que certains anticancéreux sont fournis gratuitement par l’Etat.

La communication, clef du dépistage précoce pour sauver des vies

Afin d’augmenter la capacité de détection précoce des cancers de l’enfant et d’augmenter la survie, l’OMS appuie les efforts du gouvernement visant à sensibiliser la population sur la nécessité d’un dépistage précoce. « Il s’agit de s’y prendre tôt pour sauver des vies », déclare la Représentante de l’OMS, Dr Lucile Imboua.

« La majorité des enfants décèdent parce que leur maladie est diagnostiquée tardivement. C’est la communication qui fait défaut, surtout à l’endroit des parents et des tuteurs des enfants. Cette communication est indispensable pour permettre aux responsables de l’enfant de remarquer les signes de cancer, et de consulter le plus tôt possible un professionnel de santé  », explique-t-elle.

Dr Fatou Binetou Diagne, oncologue pédiatre à l’Hôpital Aristide Le Dantec, a soigné Asma. Elle se consacre à la prévention, au diagnostic et au traitement du cancer de l’enfant et travaille dans le service de pédiatrie depuis 15 ans. « J’ai choisi cette discipline car c’était ma manière de servir mon pays et le besoin en ressources humaines était criant. Dans le service, nous sommes deux oncologues pédiatres, un pédiatre généraliste et une équipe de trois à quatre médecins stagiaires ».

Le service d’oncologie pédiatrique a pris en charge 1.134 enfants atteints de cancers de 2016 à 2020 avec 45% concernant trois types de cancers majeurs : la leucémie, le néphroblastome et le rétinoblastome, touchant respectivement le sang, le rein et l’œil.

Intégrer l’oncologie pédiatrique dans le plan national

L’OMS a en outre appuyé la formation des acteurs de santé sur le diagnostic précoce des cancers les plus fréquents chez l’enfant et leur prise en charge adéquate. Venant en appui aux structures nationales pour assurer cette communication à grande échelle, l’OMS a soutenu l’élaboration d’outils de communication sur les cancers fréquents de l’enfant, mettant l’accent sur les signes d’alerte et expliquant la démarche à suivre.

Entre novembre et décembre 2021, plus de 400 supports de communication ont été produits à l’endroit des professionnels et des partenaires, y compris des éléments audiovisuels pour diffusion au niveau national.

L’appui de l’Organisation se fait aussi au plus haut niveau avec un impact marquant. « Notre plaidoyer a permis de replacer la lutte contre les cancers de l’enfant au centre des priorités au niveau national. L’oncologie pédiatrique est à présent intégrée dans le plan national contre le cancer pour la période 2022-2026, ce qui est une étape fondamentale pour poser des bases solides et durables dans la lutte contre ce problème majeur de santé publique et pour éviter que plus d’enfants ne décèdent lorsque c’est évitable », précise Dr Imboua.

Pour Dr Diagne, ce sont autant de raisons d’espérer. Elle salue particulièrement l’appui de divers partenaires, dont le Groupe franco-africain d’oncologie pédiatrique (GFAOP), qui soutient sur plusieurs volets les équipes qui soignent les enfants atteints de cancer dans les pays d’Afrique, et la Ligue sénégalaise contre le cancer (LISCA) qui fournit un accompagnement pour les médicaments et subventionne la radiothérapie pour certains enfants.

« Ce qui m’encourage à continuer dans cette voie c’est la satisfaction de voir d’anciens malades traités dans le service, guérir du cancer et devenir des adolescents et des adultes heureux et productifs. Je sais que les choses vont changer au mieux avec tous ces appuis venant des partenaires, mais aussi de la forte volonté politique à promouvoir l’oncologie pédiatrique ».

Tout au long du traitement suivi par Asma, Dr Diagne n’a pu s’empêcher d’admirer le courage de la jeune fille, et son obstination à s’en sortir victorieuse.

« Je l’admire beaucoup ! Malgré tout ce qu’elle a vécu, et tout au long du traitement intense et difficile qu’elle a subi, elle a malgré tout obtenu à la fois son brevet au tout début du traitement et ensuite son baccalauréat, vers la fin de sa période de chimiothérapie. Jusqu’à aujourd’hui, elle est régulière dans le service où elle passe du temps avec les enfants hospitalisés et elle les encourage à travers sa propre histoire. Elle nous dit que personne ne peut les comprendre mieux qu’elle ! »

Pour Asma, l’expérience qu’elle a vécue continue à la marquer. «  Une chose qui est toujours difficile pour moi, c’est le souvenir de mes amis qui ont perdu la bataille face au cancer. Je pense particulièrement à mon amie Binta, avec laquelle j’étais hospitalisée dans la même salle, et qui était devenue comme une sœur. Le jour où elle m’a quittée restera à jamais gravé dans ma mémoire. Il est vrai qu’on peut guérir du cancer, mais certaines douleurs ne partent pas ».