Gabon Matin vous livre la réponse du mouvement citoyen gabonais « Appel à Agir » suite à la communication de la Cour constitutionnelle du 14 mars dernier. Pour rappel, ce mouvement appelle à constatation de la vacance de pouvoir au sommet de l’Etat en raison de la maladie d’Ali Bongo et son éloignement du Gabon.
Ce jeudi 14 mars 2019, François De Paul Adiwa-Antony, Christian Baptiste Quentin, Christian Bignoumba Fernandès, Hervé Moutsinga, Claudine Menvoula Me Nze, Jacques Lebama, Afriquita Dolorès Agondjo et Louise Angue, agissant en qualité de membres de la Cour constitutionnelle, ont publié une tribune dans le journal l’Union. La veille, Jacques Lebama avait lu ce texte sur le plateau de la première chaine de télévision nationale. Dans cette tribune, qui a toutes les apparences d’une motion de soutien à la Présidente de leur institution, ces huit (8) compatriotes brandissent des menaces à l’endroit des personnes qui contestent les agissements de la Cour constitutionnelle et surtout de sa Présidente depuis le 14 novembre 2018 et la décision n°219/CC relative à l’interprétation des articles 13 et 16 de la Constitution.
Le 28 février 2019 à la Chambre de commerce de Libreville, en citoyens libres, conscients et responsables nous avons lancé un « Appel à Agir ». Dans cette déclaration, dans laquelle nous demandons la constatation de la vacance de la Présidence de la République, nous avons dénoncé les agissements contestables de la Présidente de la Cour constitutionnelle depuis le 24 octobre 2018. Nous nous sentons donc concernés par les menaces des membres de la Cour constitutionnelle et avons décidé de leur répondre.
La motion de soutien des membres de la Cour constitutionnelle à leur Présidente appelle à des observations sur la forme et dans le fond.
Sur la forme
Cette déclaration a été publiée sur deux pages du quotidien l’Union ne comportant ni numéro de page, ni en-tête du journal, indiquant ainsi que bien que l’ayant annoncé en première page, le quotidien national souhaitait marquer une nette distance avec ce texte. Cette publication a-t-elle été financée par les ressources de la Cour constitutionnelle ou payée par les signataires ?
Le texte est intitulé « Communication de la Cour constitutionnelle » et porte l’en-tête de cette institution. Il n’engage cependant pas la Cour constitutionnelle mais ses huit signataires. Un texte engageant la Cour constitutionnelle aurait été signé par une seule autorité et porterait le sceau de l’institution. En effet, seules les décisions de la Cour constitutionnelle nécessitent les signatures de tous les membres présents auxquelles s’ajoute celle du greffier.
Ainsi que nous l’avions annoncé le 28 février 2019, nous avons adressé à la Cour constitutionnelle, le 04 mars 2019, une demande d’audience à laquelle nous avons joint notre déclaration. Le 12 mars 2019 en fin de matinée, le responsable du protocole de l’institution nous a appelés pour nous informer que nous serions reçus en audience par la Présidente de la Cour constitutionnelle le mercredi 13 mars 2019 à 11h 30. Le même mardi 12 mars en fin d’après-midi, le même responsable du protocole de la Cour constitutionnelle nous a de nouveau joints pour nous indiquer que notre audience était reportée sine die. Devons-nous considérer que la motion de soutien à la Présidente de la Cour constitutionnelle a été finalement préférée à l’audience que nous sollicitions ? Nous ne pouvons le croire.
Dans le fond
Dans leur déclaration, les huit juges constitutionnels, se drapant des oripeaux de signataires d’une motion de soutien, affirment : « La Cour constitutionnelle fait l’objet d’un acharnement politique sans précédent relevant d’une démarche visant à déstabiliser l’Institution et surtout, la personne de son Président, Madame Marie Madeleine Mborantsuo. » Ils ajoutent : »Cette démarche de déstabilisation se caractérise par des critiques acerbes, virulentes et outrageantes non seulement à l’endroit de l’Institution mais surtout à celui de son Président qui est accusé, entre autres, de « refuser de constater la vacance de la Présidence de la République, d’avoir modifié la Constitution et d’exercer le pouvoir exécutif en violation du principe de la séparation des pouvoirs. » Usant de nos droits, tels que reconnus par la Constitution, nous avons, en effet, dénoncé les agissements de la Cour constitutionnelle et de sa Présidente. Jusqu’à preuve du contraire, nous les maintenons.
Nous maintenons notre dénonciation des agissements de la Cour constitutionnelle
Nous maintenons que dans sa décision n° 219/CC du 14 novembre 2018 la Cour constitutionnelle a modifié la Constitution de la République, en décidant à l’article 1er de celle-ci que : « L’article 13 de la Constitution comporte une lacune qu’il convient de combler en lui ajoutant un autre alinéa ainsi libellé : « En cas d’indisponibilité temporaire du président de la République pour quelque cause que ce soit, certaines fonctions dévolues à ce dernier, à l’exception de celles prévues aux articles 18, 19 et 109, alinéa 1er, peuvent être exercées, selon le cas, soit par le Vice-président de la République, soit par le Premier ministre, sur autorisation spéciale de la Cour constitutionnelle saisie par le Premier ministre ou un dixième des membres du Gouvernement, chaque fois que nécessaire » ».
Si dans sa saisine, le Premier ministre a effectivement évoqué l’indisponibilité temporaire de Monsieur Ali Bongo, il revenait à la Cour Constitutionnelle d’indiquer au Premier ministre que la Constitution ne prévoit pas l’indisponibilité temporaire du président de la République et que si celui-ci ne pouvait pas remplir les devoirs de sa charge, le Gouvernement devait se réunir pour décider à la majorité de saisir la Cour constitutionnelle aux fins de constatation de la vacance de la Présidence de la République. Au lieu de cela, la Cour constitutionnelle s’est substituée au constituant pour introduire la notion d’indisponibilité temporaire du président de la République pour quelque cause que ce soit. Ainsi, nul besoin de justifier les causes de l’indisponibilité.
Plus grave, en excluant uniquement les articles 18, 19 et 109 alinéa 1er de la Constitution, la Cour constitutionnelle s’est donné le droit de confier au Vice-président de la République ou au Premier ministre l’exercice de fonctions qui ne peuvent être déléguées. C’est ainsi que le Conseil des ministres du 16 novembre 2018, convoqué et présidé par le Vice-président de la République, sur autorisation de la Cour constitutionnelle, a procédé à des nominations à des emplois supérieurs civils dans diverses administrations publiques. La Cour constitutionnelle, qui a validé l’ordre du jour de ce Conseil des ministres, ne pouvait ignorer que les pouvoirs consacrés par l’article 20 de la Constitution ne peuvent être délégués au Vice-président de la République. Qu’est-ce qui, lors de ce Conseil des ministres du 16 novembre 2018, empêchait le Vice-président de la République de nommer le chef d’État-major général des armées et tous les chefs de corps ?
Nous maintenons que, contrairement aux affirmations de nos huit compatriotes, la Cour constitutionnelle ne se sent pas « l’obligation de donner suite à toute saisine qui lui est soumise. » Le 28 novembre 2018, elle a refusé de recevoir et d’enregistrer une requête formulée par Maître Kevin Anges Nzigou qui, agissant conformément aux dispositions de l’article 92 de la loi organique sur la Cour constitutionnelle, demandait la désignation d’un collège de médecins afin de statuer sur les réelles capacités physiques et cognitives d’Ali Bongo.
Nous maintenons également que le 15 janvier dernier, le gouvernement a prêté serment non pas « devant le président de la République et en présence de la Cour constitutionnelle » mais plutôt « devant la Cour constitutionnelle et en présence du président de la République ». Que ce soit dans le décorum, la répartition des rôles ou la préséance, tout attestait bien de ce que c’était la présidente de la Cour constitutionnelle qui présidait la séance en lieu et place du président de la République. Est-ce ce qui est prévu dans la Constitution ? En agissant ainsi, la Cour constitutionnelle ne s’est-elle pas, de fait, arrogé les pouvoirs du président de la République ?
Nous maintenons ensuite la dénonciation des agissements de la Présidente de la Cour constitutionnelle
Si, en effet, la Cour constitutionnelle est une juridiction collégiale et dès lors que ses décisions engagent tous les juges constitutionnels, nous devons à la vérité de dire notre surprise lorsqu’il est dit dans la déclaration de nos huit compatriotes que : « C’est le lieu d’affirmer et de réaffirmer que les membres de la Cour constitutionnelle sont solidaires entre eux et par conséquent avec le Président de l’Institution ».
Nos huit compatriotes sont-ils solidaires de l’opération de communication de la Présidente de la Cour constitutionnelle, dans l’édition du 02 décembre 2018 du magazine Jeune Afrique ? Sont-ils solidaires lorsque le 04 décembre 2018, la Présidente de la Cour constitutionnelle se retrouve à Rabat au Maroc à la tête d’une délégation comprenant le Vice-président de la République et le Premier ministre ? Sont-ils solidaires lorsque la Présidente de la Cour constitutionnelle reçoit en audience officielle le Président de l’Assemblée nationale fraichement élu ? Sont-ils solidaires lorsque la Présidente de la Cour constitutionnelle reçoit en audience le 13 mars 2019 le Maire de la commune de Libreville et ses adjoints, partis lui présenter leurs civilités avant de s’être présentés au Premier ministre et aux présidents des deux chambres du Parlement ? Sont-ils solidaires de la présence de la Présidente de la Cour constitutionnelle à l’audience que le Chef de l’exécutif a accordée, le 25 février 2019, à la Présidence de la République, au Premier ministre et aux présidents des deux chambres du Parlement ?
De quelle solidarité est-il question ? Les neuf membres de la Cour constitutionnelle se considèrent-ils comme une corporation aux solidarités diverses ?
La Cour constitutionnelle est une juridiction importante. Nul ne le conteste. Elle se doit d’être exigeante avec elle-même et avec chacun de ses membres. Il est attendu d’elle de la neutralité, de la retenue et de la discrétion. Manifestement, ce n’est pas le cas. Nous le regrettons et ne pouvons nous en accommoder
Nous maintenons enfin notre exigence de la nécessité de la déclaration de la constatation de la Présidence de la République
À l’article premier, paragraphe 21 de la Constitution il est inscrit : « Chaque citoyen a le devoir de défendre la patrie et l’obligation de protéger et de respecter la Constitution, les lois et les règlements de la République ; »
Ici et maintenant, nous prenons à témoin l’opinion nationale et internationale des menaces publiquement proférées par nos compatriotes qui, s’exprimant sous la protection de leur robe de membre de la Cour constitutionnelle considèrent qu’en exerçant nos droits de citoyens, nous nous exposons à l’arbitraire et à cette justice à la carte dont sont déjà victimes Bertrand Zibi, Frédéric Massavala, Pascal Oyougou et Ballack Obame.
Nous l’avons dit et nous le redisons : les manipulations de la Constitution sont le terreau de l’anarchie et du chaos ; la démocratie ne se construit pas par les tripatouillages de la Constitution ; l’État de droit est un État où la loi s’impose à tous ; la transparence est un gage de sincérité des décideurs et la responsabilité conduit chacun à agir en conscience.
Nous demandons que cessent les manœuvres actuelles et que les dispositions légales soient appliquées. Que l’article 13 de la Constitution soit appliqué. C’est cet objectif qui nous préoccupe.
Nous affirmons ici exercer nos droits fondamentaux et l’assumons. Ainsi que nous n’avons eu de cesse de le dire, notre démarche est républicaine, respectueuse de l’État de droit et non violente.
Pour le Gabon, Agissons !