Au Conseil des droits de l’homme, l’Experte indépendante sur la situation des droits de l’homme en République Centrafricaine (RCA), Marie-Thérèse Keita Bocoum, a relayé « les espoirs et les inquiétudes » de la population qu’elle a recueilli lors de sa dernière mission dans le pays.
« Les Centrafricains ont soif de paix », a déclaré mercredi à Genève Mme Bocoum, qui estime crucial que la population centrafricaine ressente dès aujourd’hui que la dynamique amorcée par l’adoption de « l’accord de paix contribuera à changer leur quotidien ».
Devant le Conseil, l’experte a décliné les priorités devant mener la Centrafrique sur le chemin de la paix définitive. « Cela implique des efforts en matière de sécurité et de réduction de la violence mais cela implique aussi une action robuste pour le relèvement économique du pays », a-t-elle dit. Dans cette perspective, Mme Bocoum a plaidé pour qu’une attention particulière soit accordée à la situation des jeunes qui sont souvent victimes mais aussi particulièrement « vulnérables aux discours extrémistes ».
Dans le contexte fragile de la RCA, les jeunes peuvent facilement constituer un « réservoir des groupes armés pour embrigader de nouvelles recrues ». A cet égard, la mise en œuvre rapide, dans toutes les provinces du pays, d’un programme de renforcement des capacités et le développement d’activités génératrices de revenus pour les jeunes contribueront à atténuer les tensions au sein des communautés, estime l’experte.
Insistant sur cette « soif de paix », Mme Bocoum a tenu ainsi à transmettre aux membres du Conseil « les espoirs et les inquiétudes » rapportées lors de sa dernière mission en RCA, au sujet de la mise en œuvre de l’Accord politique pour la paix et la réconciliation signé à Bangui le 6 février dernier entre le gouvernement et 14 groupes armés. Avec la participation des groupes armés au gouvernement, cet accord constitue « une réelle opportunité pour le peuple Centrafricain ». « Il porte en germe de réels espoirs de paix et conséquemment de développement pour le pays », a-t-elle fait valoir.
Augmentation de la criminalité malgré une baisse des « incidents graves »
Mais en plus de la problématique du développement, de nombreux interlocuteurs à Bangui et en provinces, ont ainsi rappelé à Mme Bocoum, « l’importance du respect des droits humains » et le fait d’exclure dans cet accord, « l’amnistie, notamment pour les crimes les plus graves, conformément aux attentes de la population pour plus de justice ». « Il faudra aussi qu’il soit accompagné de mesures fortes de justice, conformément aux souhaits de la population », a relevé l’experte onusienne.
D’autant que sur le terrain, malgré une baisse du nombre d’incidents graves, elle a été informée « d’une augmentation de la criminalité dans de nombreuses localités », notamment à Bangui, et de la persistance des points de contrôles sur les routes, source régulière de violences et de harcèlement à l’encontre de la population.
Dans ce contexte, les évènements survenus dans la région de Paoua en mai dernier, au cours desquels près d’une cinquantaine d’habitants de différents villages de Koudjili, Ndondjom, Bohong, Lemouna et Koui ont été tués lors d’attaques coordonnées par des combattants du groupe 3R continuent de susciter l’indignation. « Deux mois après ces attaques, le commandement du groupe armé n’a livré que trois personnes qui auraient participé à ces attaques alors que les témoins dans les différents villages évoquent plus d’une douzaine de motos et des douzaines d’attaquants », a regretté l’experte.
Plus largement, Mme Bocoum a indiqué que si des groupes armés revendiquent leur place dans le processus de paix, ils doivent immédiatement mettre fin à la violence. « Ils doivent aussi se rappeler qu’ils peuvent être poursuivis pénalement pour leur implication directe dans la commission de ces actes odieux ou du fait de leur position de commandement par rapport à leurs subordonnés », a-t-elle mis en garde.
Pour une approche holistique sur la question de la transhumance
De même, il est de la responsabilité de l’Etat de mettre l’action publique en mouvement afin de poursuivre « tous les auteurs de ces crimes odieux ». Une façon de rappeler que si de tels actes ne sont pas sanctionnés, ils sont susceptibles de « mettre en danger la réussite du processus de paix ».
Ainsi donc, elle a invité les parties à l’accord de paix, les garants et facilitateurs à appliquer de manière systématique les sanctions prévues en cas de brèches de l’accord. « Je les exhorte aussi à prendre toutes les mesures nécessaires, pour que les responsables soient poursuivis et sanctionnés afin que de tels actes ne se reproduisent plus », a insisté l’experte.
De nombreux défis restent à surmonter sur le chemin de la paix. A Genève, Mme Bocoum s’est dit préoccupée par la question de la transhumance qui continue d’engendrer « des conflits fréquents dans les zones rurales où l’Etat est encore faible ». « Ma visite, en cette saison des pluies, m’a permis d’en saisir une nouvelle fois l’acuité », a-t-elle fait remarquer, tout en soulignant l’urgence d’avoir « une approche holistique » sur ce problème.
Il s’agit de compléter les mesures sécuritaires par des actions visant à réguler ces déplacements, notamment en travaillant de concert avec les différents acteurs concernés, y compris les pays voisins. « J’ai été informée que le travail a commencé avec des pays de la sous-région dans le cadre des Commissions mixtes », a précisé l’experte.
Par ailleurs, le déploiement des fonctionnaires de l’Etat est parfois retardé par leurs difficultés à percevoir leurs salaires et être opérationnels, compte tenu des limitations logistiques auxquels ils doivent faire face. L’experte a donc plaidé pour que plus de moyens soient mis à disposition pour s’assurer que les fonctionnaires soient payés à temps pour pouvoir travailler dans des conditions acceptables et ne pas être tentés de se servir sur la population.
Dans ce contexte, Mme Bocoum a estimé qu’il est important également que les axes routiers soient complètement sécurisés pour permettre la libre circulation des personnes et des biens.