Au Mali, l’un des pays les plus pauvres au monde, les femmes et les filles subissent directement les effets du changement climatique. Elles sont aussi porteuses de solution et il faut donc les écouter, comme l’expliquent à ONU Info deux représentantes de la société civile malienne.
En mars dernier, la Commission de la condition de la femme (CSW66) s’est tenue à New York avec pour thème : Changements climatiques, réduction des risques environnementaux et des risques de catastrophe : l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes et des filles au centre des solutions .
En marge de cette session, ONU Info avait pu rencontrer deux activistes maliennes : Mariam Touré Keita, référente genre au Sahel du DCAF, le Centre pour la gouvernance du secteur de la sécurité, et Bintou Founé Samaké, présidente du WILDAF au Mali, un réseau de promotion et de protection des droits des femmes. Mme Samaké est aussi membre de la Coalition malienne genre, femmes et sécurité.
Plus de 60% de la population malienne vit dans la pauvreté. Le faible développement économique, l’insuffisance de terres cultivables et la pauvreté rendent ce pays particulièrement vulnérable aux impacts du changement climatique.
Cette constation a été réaffirmée lors de la Conférence des Nations Unies sur la climat (COP27) qui s’est déroulée en novembre en Egypte. Les femmes et les filles sont en effet confrontées à de plus grands obstacles lorsqu’elles tentent de s’adapter au changement climatique et subissent des répercussions économiques plus importantes.
C’est pourquoi le leadership des femmes et des filles est essentiel, efficace et puissant pour faire face à la crise climatique, a déclaré la Vice-Secrétaire générale de l’ONU, Amina Mohammed, lors d’un événement axé sur les femmes en Afrique.
Grand impact de la désertification et de la sécheresse sur la vie des Maliennes
Au Mali, « les femmes vivent des fruits de la cueillette et les femmes aussi utilisent beaucoup des énergies liées au bois et au charbon », souligne Mariam Touré Keita. « Ce qui fait que la sécheresse et la désertification n’aident pas du tout les femmes pour pouvoir s’occuper de la survie de leur famille et de faire des activités génératrices de revenu. Cela a un grand impact sur la sécurité économique des femmes parce que leurs revenus s’amenuisent ».
De plus, traditionnellement, les femmes n’ont pas ou peu accès à la terre, « ce qui fait que leur insécurité économique est encore plus exacerbée », ajoute Mme Touré Keita.
Les femmes qui travaillent dans l’agriculture, 80% de la population, ont besoin d’eau. Or, « les changements climatiques amènent le tarissement de l’eau et même le tarissement de nos fleuves », déplore Mme Touré Keita. « Et donc les systèmes d’irrigation sont en panne pour la production agricole, pour la production maraîchère ».
Déplacements liés au changement climatique
Pour Bintou Founé Samaké, les déplacements massifs de personnes ne sont pas tout le temps liés aux conflits mais liés souvent au changement climatique.
« Lorsque les ressources s’amenuisent, les personnes se déplacent pour quitter carrément leur village, pour aller à la recherche de ressources vers d’autres horizons. Cela crée des bidonvilles autour des grandes villes et crée l’insécurité pour les femmes et les enfants. Il y a l’insécurité sanitaire, il y a l’insécurité alimentaire qui s’installe et la survie devient de plus en plus difficile », explique-t-elle.
Les déplacements de populations au Mali impactent beaucoup plus les femmes et les enfants. Pourquoi y a-t-il des déplacés liés au changement climatique ?, s’interroge Mariam Touré Keita. « C’est parce que les zones aujourd’hui deviennent désertes et les zones deviennent invivables ».
Autonomiser les femmes, clé du développement
L’autonomisation des femmes est une clé du développement, explique Bintou Founé Samaké, car elles représentent plus de 50% de la population.
« Un développement ne peut se faire sans les 50% », insiste-t-elle. « De plus, comme 80% des personnes vivent des ressources de l’agriculture, les femmes constituent un pilier dans cette activité. En leur donnant les moyens, la technicité et les connaissances, nous les amenons à pouvoir participer de façon très significative au développement de notre pays ».
Pour Mariam Touré Keita, il faut démultiplier les formations pour que les gens comprennent de plus en plus l’enjeu du lien entre le genre, la sécurité et les changements climatiques. Il faut voir le changement climatique non pas comme un défi mais comme une opportunité.
Il est donc important d’accroître la résilience des femmes dans le futur. « Parce que le changement climatique, on ne sait pas encore comment on pourra renverser la tendance. Du coup, puisque cela n’est pas possible dans l’immédiat, il vaut mieux préparer ces jeunes personnes, ces jeunes femmes et ces jeunes filles à faire face aux effets disproportionnés du changement climatique qui impactent beaucoup la vie et la sécurité des femmes et de leur famille », explique-t-elle.
Développer des projets résilients aux changements climatiques est crucial, insistent les deux activistes : « Si nous voulons autonomiser les femmes, l’amélioration de nos écosystèmes est primordiale pour que les femmes puissent avoir des espaces de vie avec leurs enfant s ».
De plus, les femmes doivent être impliquées dans toutes les politiques de planification aux changements climatiques parce que « les catastrophes impactent différemment les hommes et les femmes », rappelle Bintou Founé Samaké. En cas de catastrophes, « les femmes sont souvent accompagnées de leurs enfants. Et une femme qui a des enfants n’a pas les mêmes besoins qu’un homme qui est seul, qui n’a pas d’enfants ».
« Si on ne prend pas en compte leurs besoins, on ne résout pas totalement le problème. C’est pourquoi nous devons les inclure, qu’elles expriment elles-mêmes leurs besoins et qu’elles sachent les enjeux qui sont attachés à la prise en compte de ces besoins », ajoute-t-elle.
Pas un effet de mode
Pour Mariam Touré Keita, la lutte contre le changement climatique ne doit pas être un effet de mode et doit être incluse dans toutes les résolutions de conflits.
« Nous sommes sûrs que les effets du changement climatique sont très importants sur la sécurité des hommes et des femmes », dit-elle. Elle demande que plus de ressources soient accordées à des projets qui vont lutter contre les effets disproportionnés du changement climatique. Elle demande que plus d’importance soit accordée à l’autonomisation des femmes et que les projets visant à l’autonomisation des femmes soient des projets structurants en accord avec la lutte contre les effets du changement climatique.
« Etant membre du DCAF, je voudrais qu’on mette la question des effets du changement climatique dans toutes les réformes du secteur de la sécurité et ainsi sortir de la sécurité classique des États pour aller vers la sécurité humaine », insiste-t-elle.
« Nous avons vu que les changements climatiques impactent la sécurité humaine, sur sept dimensions : personnelle, politique, communautaire, économique, environnementale, alimentaire et sanitaire. Toutes les dimensions de la sécurité humaine sont aujourd’hui impactées par les effets du changement climatique. Donc il va de soi que dans la réforme du secteur de la sécurité, on inclut cette question et qu’on y accorde beaucoup plus de ressources », conclut-elle.
Les femmes doivent être plus entendues
Pour Bintou Keita Samaké, la voix des femmes doit être amplifiée. Mais les décideurs doivent aussi avoir une oreille attentive.
« J’invite les décideurs à nous écouter, à nous comprendre dans nos difficultés et à apporter des solutions par rapport à cette question, qui est aujourd’hui une question réelle de sécurité », insiste-t-elle, appelant le Conseil de sécurité à examiner avec la plus grande attention cette question de l’impact du changement climatique sur les questions de sécurité dans son pays, le Mali.