Le Haut-Commissariat aux droits de l’homme de l’ONU (HCDH) indique avoir reçu des informations sur au moins 190 décès d’Africains et de personnes d’ascendance africaine aux mains de responsables de l’application des lois. Et 98% de ces décès ont eu lieu en Europe, en Amérique latine et en Amérique du Nord.
« Des interpellations disproportionnées - y compris sur la base du profilage racial - entraînent des arrestations et des incarcérations démesurées, ainsi que des condamnations plus sévères, dont l’imposition disproportionnée de la peine de mort », a dénoncé lundi la cheffe des droits de l’homme de l’ONU, Michelle Bachelet.
« En outre, nous avons examiné près de sept incidents emblématiques de décès d’Africains et de personnes d’ascendance africaine en contact avec des agents de la force publique », a ensuite affirmé Mme Bachelet lors de la présentation de son rapport devant le Conseil des droits de l’homme. Il s’agit notamment de George Floyd et Breonna Taylor aux États-Unis.
La récurrence des préjugés raciaux, des stéréotypes et du profilage
Selon l’ancienne Présidente chilienne, « le meurtre de George Floyd a été un point de bascule, qui a attiré l’attention du monde sur les violations des droits de l’homme dont sont régulièrement victimes les Africains et les personnes d’origine africaine ». Outre ces morts aux Etats-Unis, il y a aussi le décès d’Adama Traoré en France, Luana Barbosa dos Reis Santos et João Pedro Mattos Pinto au Brésil, Kevin Clarke au Royaume-Uni, ainsi que Janner García Palomino en Colombie.
Dans l’ensemble, malgré des systèmes juridiques différents, certaines pratiques semblent similaires, notamment la récurrence des préjugés raciaux, des stéréotypes et du profilage. « Les associations préjudiciables et dégradantes de la noirceur avec la criminalité semblent façonner les interactions des personnes d’ascendance africaine avec les forces de l’ordre et la justice pénale », a insisté Mme Bachelet.
A ce sujet, elle a énuméré trois contextes clés dans lesquels les décès liés à la police se distinguent. Il s’agit du maintien de l’ordre lors d’infractions mineures, d’arrêts de circulation et d’interpellations. Sont également mises en cause, l’intervention des agents des forces de l’ordre en tant que premiers intervenants lors de crises de santé mentale et les opérations spéciales de la police dans le cadre de la « guerre contre la drogue » ou des opérations liées aux gangs.
Le défi de la reddition des comptes des policiers
En outre, les agents des forces de l’ordre sont rarement tenus pour responsables des abus et des crimes commis contre des personnes d’ascendance africaine. Une façon de rappeler que les enquêtes, les poursuites et les procès ne prennent généralement pas suffisamment en compte le rôle potentiel de la discrimination raciale, des stéréotypes et des préjugés dans les incidents mortels impliquant la police.
Mme Bachelet a fustigé également « la répression des manifestations contre le racisme dans certains pays », qui « doit être prise en compte dans un contexte plus large dans lequel les voix des personnes d’ascendance africaine et des personnes luttant contre le racisme sont étouffées, et dans lequel les défenseurs des droits humains d’ascendance africaine sont victimes de représailles, y compris de harcèlement, menaces, poursuites pénales, violences et assassinats ».
Dans le cadre de cette enquête, le Haut-Commissariat a rencontré des membres de familles de personnes d’ascendance africaine tuées par des agents de la force publique. Outre la centaine de contributions écrites reçues des États et d’autres parties prenantes, les services de Mme Bachelet ont procédé )-à des consultations en ligne avec plus de 340 personnes.
Michelle Bachelet prône une « justice réparatrice »
Par ailleurs, partout où des données sont disponibles, elles montrent que les enfants d’ascendance africaine sont souvent victimes de discrimination raciale à l’école, qu’ils obtiennent de moins bons résultats scolaires et qu’ils sont parfois traités comme des criminels dès leur plus jeune âge.
Dans certains États, les personnes d’ascendance africaine sont plus susceptibles de vivre dans la pauvreté, de gagner des salaires inférieurs, d’occuper des postes moins qualifiés et d’avoir un accès inégal à un logement adéquat et à des soins de santé de qualité.
« Face à ces injustices profondes et de grande ampleur, il est urgent de s’attaquer aux séquelles de l’esclavage, de la traite transatlantique des esclaves, du colonialisme et des politiques et systèmes successifs de discrimination raciale, et de rechercher une justice réparatrice », a affirmé Mme Bachelet.
« Pour guérir nos sociétés et rendre justice aux crimes terribles, il est essentiel d’établir la vérité sur ces héritages et leur impact aujourd’hui, et de prendre des mesures pour remédier à ces préjudices grâce à un large éventail de mesures de réparation », a-t-elle poursuivi.
Reconnaître la nature systémique du racisme
A ce sujet, les services de Mme Bachelet ont élaboré des recommandations jugées « essentielles » pour lutter contre le racisme systémique. Dans un premier temps, les États devraient reconnaître la nature systémique du racisme, dans tous les domaines de la vie, afin de transformer les structures, les institutions et les comportements qui conduisent à une discrimination directe ou indirecte.
La deuxième action insiste sur l’importance de la reddition des comptes sur les crimes et des violations commis à l’encontre des Africains et des personnes d’ascendance africaine. D’autant qu’un « nombre impressionnant de familles, dans de multiples juridictions, ont signalé au HCDH des difficultés insupportables pour rechercher la vérité et la justice ».
Enfin, les États sont invités à faire respecter les droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique, et de protéger les organisateurs, les participants, les observateurs et les journalistes lors des manifestations contre le racisme, ainsi que ceux qui se dressent contre le racisme en dehors de ces manifestations.
« Les mesures prises pour faire face au passé transformeront notre avenir », a conclu la Haut-Commissaire, exhortant tous les États « à faire preuve d’une volonté politique beaucoup plus forte pour accélérer l’action en faveur de la justice et de l’égalité raciales ».